Droit à l’image et sociétés étrangères : l’article 123 bis CGI à l’épreuve des structures patrimoniales des sportifs
La CAA de Paris précise les contours du dispositif anti-abus de l’article 123 bis du CGI en écartant son application à une société étrangère exploitant le droit à l’image d’un sportif domicilié en France. En retenant la valeur vénale des actifs à la date de changement de résidence fiscale comme critère d’appréciation de la prépondérance financière, elle confirme que le droit à l’image constituait l’actif principal de la société, excluant ainsi l’imposition des revenus en France.
Une société panaméenne révélée lors d’une rectification : le droit à l’image au cœur du débat fiscal
Dans le cadre d’un contrôle fiscal portant sur leurs revenus de l’année 2015, le footballeur professionnel Angel Di Maria et son épouse ont été amenés à corriger leur déclaration initiale. Cette déclaration rectificative a permis de révéler l’existence d’une société enregistrée au Panama, entièrement détenue par le joueur, à travers laquelle étaient perçus les revenus issus de l’exploitation commerciale de son droit à l’image.
Cette révélation a conduit l’administration fiscale française à adresser une nouvelle proposition de rectification. Elle a cette fois-ci invoqué l’article 123 bis du Code général des impôts, un dispositif qui permet d’imposer en France les revenus réalisés par certaines sociétés étrangères contrôlées par des résidents fiscaux français.
Ce mécanisme anti-abus vise à empêcher les contribuables de loger certains revenus dans des sociétés étrangères situées dans des pays à faible imposition. Il s’applique lorsque trois conditions sont réunies :
- Une personne physique résidant en France détient directement ou indirectement au moins 10 % du capital d’une société étrangère ;
- Cette société est soumise à un régime fiscal particulièrement avantageux ;
- Son actif est principalement constitué d’éléments financiers (comme des placements ou des liquidités).
Lorsque ces conditions sont réunies, les bénéfices réalisés par la société étrangère sont réputés appartenir à l’associé français, qui doit alors les déclarer en France comme s’il les avait perçus lui-même, avec une majoration forfaitaire de 25 % pour le calcul de l’impôt. Et si la société ne clôture pas d’exercice comptable dans l’année, ces revenus sont considérés comme acquis au 31 décembre, même si le contribuable est devenu résident fiscal de France en cours d’année.
Dans cette affaire, M. Di Maria était devenu résident fiscal français le 6 août 2015. Il n’avait donc déclaré que les revenus perçus par la société après cette date. L’administration a cherché à imposer l’ensemble des revenus de l’année 2015, estimés à environ 2,78 millions d’euros, en s’appuyant sur les règles de l’article 123 bis du CGI.
Valeur comptable ou valeur vénale ? La clé de voûte de la prépondérance financière
Dans un premier temps, le Tribunal administratif de Paris a donné raison à Angel Di Maria et à son épouse, en annulant les impositions supplémentaires sans examiner en détail les conditions d’application de l’article 123 bis du CGI. Les juges ont retenu un autre argument : selon eux, il n’y avait pas de montage artificiel justifiant l’application du dispositif anti-abus. Pour étayer leur position, ils ont souligné que les revenus de la société panaméenne avaient été déclarés spontanément et dans les délais, et que cette société avait été créée en 2009, soit bien avant l’arrivée du joueur en France, intervenue six ans plus tard.
En appel, la Cour administrative d’appel de Paris, suivant les conclusions du rapporteur public, a recentré le débat sur le cœur même du dispositif : les conditions concrètes de son application, et en particulier la question clé de la nature de l’actif de la société étrangère.
L’administration fiscale défendait l’idée que pour appliquer l’article 123 bis, il fallait apprécier la composition de l’actif en se référant à sa valeur comptable nette, c’est-à-dire la valeur inscrite dans les livres à la fin de chaque exercice. Cette approche s’appuie sur les textes réglementaires en vigueur et sur la doctrine administrative, qui va dans le même sens.
À l’inverse, les contribuables soutenaient que c’est la valeur vénale des actifs – leur valeur réelle sur le marché – qui devait être retenue, notamment pour évaluer le poids économique du droit à l’image du joueur.
Pour appuyer cette position, Angel Di Maria a produit un rapport d’expertise indépendant estimant la valeur de son droit à l’image à 9,3 millions d’euros au 31 décembre 2015. À la même date, la valeur comptable inscrite au bilan de la société panaméenne n’était que de 1,5 million d’euros. Une telle différence modifie considérablement l’analyse : si l’on retient la valeur vénale, les actifs financiers de la société deviennent largement minoritaires, en dessous du seuil de 50 %, ce qui remet en cause l’application du dispositif anti-abus.
L’approche économique l’emporte : la CAA de Paris retient la valeur vénale du droit à l’image
De manière inattendue, la Cour administrative d’appel de Paris a donné gain de cause au contribuable. Dans sa décision, elle souligne un point important : le ministre ne remet pas en cause l’évaluation indépendante produite par le joueur, se contentant de s’appuyer sur la valeur comptable du droit à l’image inscrite dans les comptes de la société. Pourtant, comme le rappelle la cour, cette même société avait perçu, rien que sur l’année 2015, un total de 2,88 millions d’euros en contrepartie de la concession de ce droit.
Ce décalage manifeste entre la valeur comptable initiale du droit à l’image et les revenus réellement générés par son exploitation semble avoir pesé dans l’analyse des juges. Il montre que la valeur économique réelle de l’actif avait fortement évolué depuis son inscription dans les livres comptables, ce qui rendait peu crédible l’usage exclusif de la valeur historique pour apprécier la nature de l’actif de la société.
Le rapporteur public, de son côté, a apporté un éclairage intéressant en s’appuyant sur une décision antérieure du Conseil d’État concernant le caractère animateur d’une société holding. Dans cette affaire, le Conseil avait admis que les valeurs comptables ne pouvaient pas, à elles seules, permettre une évaluation pertinente de la nature de l’activité d’une société. Elles sont en effet encadrées par des principes de prudence et par l’obligation d’enregistrement à leur valeur d’origine, ce qui peut conduire à des écarts importants avec leur véritable valeur économique. Cet argument, transposé au cas d’espèce, a renforcé l’idée que la seule référence aux données comptables ne suffisait pas pour qualifier l’actif comme « principalement financier ».
Un pourvoi ayant été formé par le ministre, la position du Conseil d’État est désormais très attendue, notamment sur la question de savoir si la valeur vénale d’un actif peut être retenue pour apprécier la prépondérance financière exigée par l’article 123 bis du CGI.